La réussite ou l’échec
dans les matchs de football
Selon le dictionnaire, la voix peut désigner les sons produits par le larynx, l’expression d’une opinion, la voix intérieure qui inspire, conseille le sujet.
En grammaire, on distingue la voix active où le sujet accomplit une action, et la voix passive subie par lui. Ce dernier sens grammatical évoque la double position active/passive du « porte-voix » qui, à la fois, accomplit une action et subit les noeuds inconscients de son groupe d’appartenance Pichon-Rivière (1970) a intégré le concept de porte-voix à l’équipe de football.
Dans ce contexte, cet auteur souligne l’existence simultanée ou successive de plusieurs porte-parole qui transmettent la stratégie inconsciente du groupe.
Et il remarque que celle-ci peut faire jouer les joueurs pour ou contre leur propre équipe.
La présence de plusieurs porte-parole correspond à l’expression de différents aspects de la vie groupale. De plus, il note que, dans tous les jeux, la passion comme manie ou comme souffrance recèle une quête d’auto-affirmation narcissique. Le phénomène du football en Argentine et peut-être ailleurs aussi, a servi de représentation sociale défensive, idéologique, pour occulter des problèmes politiques et économiques, et pour offrir un bénéfice psychique.
Notre travail avec Pichon-Rivière dans le cadre de la formation d’animateurs de groupe avec des étudiants-entraîneurs de football nous a conduit à nous intéresser au fonctionnement de l’équipe de football. Voici quelques réflexions personnelles. Dans l’équipe, certains joueurs sont attachés à la défense, d’autres à l’attaque. Par exemple, si la défense ne remplit pas sa fonction, le ballon est perdu, et par conséquent, le niveau de production groupale est amoindri. Le joueur se trouve confronté à l’équipe adverse, à sa propre équipe, à l’entraîneur et au public.
La vigilance nécessaire à l’élaboration d’une stratégie et de tactiques communes entre les membres de l’équipe requiert un décentrement narcissique pour faire face aux adversaires. Comme dans tout groupe, l’illusion groupale constitue un moment nécessaire à la constitution de l’équipe. La victoire produit un individualisme où chaque joueur se croit responsable du succès collectif. Dans ce cas, la manie et la mégalomanie idéologisent l’espace de jeu, lieu également d’une rivalité coupable. L’échec succède rapidement à la réussite – car son pendant réside dans le risque de désobéir aux tactiques définies par l’entraîneur – liée à la croyance de pouvoir dépasser le père (mythe de la horde primitive) et d’être en rivalité pour l’appropriation individuelle de la célébrité.
Au contraire, la défaite conduit à une culpabilisation persécutoire déplacée alternativement sur les ailiers, le centre, les défenseurs ou les attaquants. Elle amoindrit la capacité d’élaborer une logistique. La projection massive de la défaite sur l’entraîneur rompt les liens et provoque un éclatement et un morcellement de l’équipe. Le numéro 12 (l’équipe de football n’a que onze joueurs) représente le public où les supporters constituent un groupe externe qui soutient l’espace interne du jeu. La sympathie ou l’antipathie du public pour l’équipe agit comme un fond qui augmente les possibilités de réussite ou d’échec. Ce groupe externe fonctionne comme une peau narcissique contenant de l’équipe. L’absence momentanée de l’équipe lors de la pause provoque des débordements du public contenus
aujourd’hui dans des écrans vidéos. Dans ce contexte, l’équipe de joueurs fonctionne comme un portevoix de l’aspect conteneur de la vie groupale. La famille, le groupe opérationnel, l’équipe de football constituent trois champs d’observation très différents. L’un est thérapeutique, l’autre concerne la formation professionnelle et le troisième porte sur un phénomène de masse. Or, le porte-voix émerge dans ces trois dimensions pour représenter chaque fois un aspect indifférencié et syncrétique de l’ensemble.