Jeu et créativité

Jeu et créativité

a. La place du jeu dans le développement de l’enfant

Une première ligne est ouverte par la psychanalyse en ce sens qu’elle nous permet d’observer le jeu dans sa valeur expressive, comme mécanisme de défense face à l’angoisse.
Le jeux de la bobine ou fort-da, décrit par Freud (1920)1 dans Au-delà du principe de plaisir de découvrir la valeur symbolique du jeu. Il l’interprète comme une manière pour l’enfant de mettre en scène l’apparition et disparition de sa mère.

Le jeu serait donc semblable à un espace psychique dans lequel l’enfant peut faire le lien entre présence et absence, dedans et dehors, lui et l’autre. Dans cet espace qui apprivoise le manque, il ne se pose pas la question du vrai ou du faux, et pénètre dans un univers singulier situé entre le réel et l’imaginaire où il peut déplacer, représenter, jouer ses émotions : c’est l’univers symbolique. Freud découvre avec son observation que la possibilité de « faire » avec l’objet transforme la passivité de la perte en expérience de toute puissance.

Cette position défensive du jeu a été poursuivie par Mélanie Klein2 (1930) qui apportera la contribution la plus significative à la psychanalyse des enfants en développant la technique du jeu, comme découverte clinique. Le jeu aura pour elle la valeur d’une chaîne associative équivalente à l’association libre chez l’adulte.
Mélanie Klein a revendiqué la mise en place de la technique de l’analyse par le jeu et, par là même, la technique d’analyse des enfants (Klein, 1933) qui consiste à interpréter le jeu d’un enfant comme on interpréterait un rêve. Elle utilise le jeu comme médiation thérapeutique : une façon de parler et d’associer librement. Elle le considère alors comme un moyen d’accès aux représentations internes, symboliques, de l’enfant.

Une deuxième ligne de recherche est ouverte par D.W. Winnicott (1896-1971)3 qui considère le jeu comme un espace transitionnelle entre deux…
Winnicott ne se contente pas de cette conception du jeu pour deux raisons : en tant que pédiatre, il reçoit des parents et des enfants, dont des nourrissons accompagnés de leur mère, et en tant que psychanalyste, il prend en cure des patients dont certains sont psychotiques. Cette double expérience l’a conduit à tenir compte de l’environnement du nourrisson dans la genèse de son développement psychique. Il considère, par ce qu’il a pu observer, que le jeu de l’enfant est spontané et universel.

Dès lors, il inverse la proposition des psychanalystes qui l’ont précédé : si le jeu est pour eux un moyen thérapeutique, lui soutient que le jeu est un tout qui a des vertus thérapeutiques en soi. Le jeu n’est plus uniquement un contenu mais aussi un contenant. La psychothérapie et la psychanalyse ne feraient qu’utiliser les potentiels du jeu. Pour comprendre ce point, il nous faut aborder les concepts d’objets transitionnels et d’espace potentiel que Winnicott a élaborés.
L’objet transitionnel est la première possession « non-moi » du nourrisson. Cela est complexe à saisir, car Winnicott considère que le nouveau-né ne perçoit pas sa mère comme distincte de lui. Au contraire celle-ci serait, du point de vue du nourrisson, comme un prolongement de lui-même. Une mère « suffisamment bonne », qui prodiguerait de bons soins à son nourrisson, lui permettrait de vivre dans l’illusion d’une « toute- puissance ». Cette « illusion », où réalités interne et externe ne sont pas encore clairement distinctes pour le nourrisson, autorise des expériences «intermédiaires», en particulier celle de posséder un objet transitionnel qui n’est ni la mère réelle, ni sa représentation interne, mais un peu des deux. À ce stade, le nourrisson ne peut accepter de la réalité que les objets qu’il crée (qui correspondent à ses besoins). Il est entièrement dépendant de sa mère ; si cette dernière ne lui apporte pas ce dont il a besoin, il perd le sentiment d’exister. L’objet transitionnel lui permet d’accepter l’absence de la mère et lui donne la possibilité d’avoir le sentiment d’exister malgré ses absences. De cette façon, le nourrisson peut accumuler des expériences de vie sans sa mère et sans se trouver en danger. L’objet transitionnel autorise ce jeu, qu’il peut soumettre à sa « toute-puissance », de la présence ou de l’absence de sa mère. Sans être la mère réelle, ni sa représentation interne (qui présuppose la capacité d’élaborer l’absence), l’objet transitionnel est tantôt l’un tantôt l’autre, à la guise du nourrisson. En ce sens, Winnicott a pu dire que le nourrisson joue dès qu’il est capable de posséder un objet non-moi.

L’objet transitionnel peut être un morceau de chiffon, un nounours, un bout de laine, de ficelle, ou encore la mère elle-même. Cela signifie qu’il utilise sa mère comme un prolongement de lui-même, mais aussi comme distincte de lui. Cette malléabilité de la mère lui permet d’évoluer en toute confiance et d’aller au devant d’expériences nouvelles. Winnicott a abordé cette question, notamment en relation à son expérience de pédiatre. Il place sur son bureau un objet brillant, qui attire l’œil, de façon à ce qu’il soit accessible pour l’enfant. Lorsqu’il reçoit l’enfant avec sa mère ou ses parents, il peut observer la façon dont l’enfant utilise ou n’utilise pas l’objet. L’auteur remarque que l’intérêt du jeu est qu’il soit une expérience à l’initiative de l’enfant (Winnicott, 1969).

Une troisième ligne de recherche est inaugurée par Anna Freud (1895-1982)4 qui développe le concept de ligne de développement, c’est-à-dire le passage du « corps au jouet et du jeu au travail ».
Le jeu commence chez l’enfant sous forme d’un jeu érotique avec le corps, qu’il s’agisse de son propre corps (au niveau de la bouche, des doigts, de la peau…) ou du corps de sa mère (au travers de l’alimentation par exemple) ; en sachant qu’à cet âge, dans le vécu de l’enfant, cette distinction n’est pas catégorique. Les propriétés du corps de la mère et de celui de l’enfant sont ensuite transférées sur un objet mou et notamment sur ses caractéristiques de surface (odeur, chaleur, consistance..)
Ces jeux apparaissent schématiquement selon la séquence chronologique suivante :

  • –  Des jouets permettant des activités de type : vider/remplir, ouvrir/fermer, emboîtements, souillure par déplacement des intérêts primitivement attachés aux orifices corporels et à leurs fonctions.
  • –  Des jouets mobiles source de plaisir au niveau de la motricité.
  • –  Des jouets de construction permettant d’exprimer les tendances ambivalentes (construire/détruire).
  • –  Des jouets permettant l’expression de la bisexualité psychique, soit dans un jeu de rôle solitaire, soit pour parader devant l’objet œdipien, soit pour mettre en scène la problématique œdipienne au sein de jeux collectifs.
    Il se met ensuite en place le plaisir lié à l’achèvement de la tâche, plaisir qui finit par l’emporter sur celui de l’action proprement dite. L’aptitude au jeu se transforme enfin en aptitude au travail grâce à la secondarisation de la pensée. Certaines activités comme la rêverie diurne, les jeux, les hobbies, continuent cependant à fonctionner, de manière plus ou moins intense selon les sujets. Ils maintiennent ainsi une place à l’imaginaire, aux fantasmes et aux processus primaires, malgré la socialisation progressive des comportements et des jeux. Anna Freud pense que « le jeu est un excellent moyen d’observation… pour apprendre à connaître l’enfant ». Elle souligne le rôle fondamental que tient le jeu dans le processus de socialisation de l’enfant, allant jusqu’à en faire un des éléments de l’aptitude au travail de l’adulte.

Une quatrième ligne se destine à Jean Piaget. Entre 1896 et 1980, il tente également de comprendre la place du jeu dans le développement cognitif de l’enfant. Pour la théorie cognitive, le jeu est un moyen de s’informer sur les objets et les événements. C’est un moyen d’affermir et d’étendre ses connaissances et ses savoir-faire. C’est, en ce sens, un moyen d’intégrer la pensée à l’action.
Dans l’évolution du comportement ludique, Piaget décrit trois périodes correspondant approximativement aux différents styles de jeux.

1- La période sensori-motrice (0-2 ans) pendant laquelle l’enfant ne joue que lorsque l’objet est présent : « Jouer avec son corps », « Jeux d’exercice ».

2-  La période représentative ou « pensée symbolique » (2-6 ans) durant laquelle l’objet étant devenu « permanent ». L’enfant n’a plus besoin de lui pour jouer. Il peut être imaginé et l’enfant peut alors « faire semblant » et « jouer avec son esprit ».

3-  La période sociale (7-11 ans) qui se caractérise par les jeux à règles. Ici, une véritable institution sociale se transmet de génération en génération.

Une cinquième ligne s’articule avec les théories psychosociale et est ouverte, en France, par Henri Wallon.
Dans la même direction que Piaget mais engagé d’un point de vue politique, Wallon (1879-1962) insistait sur la discontinuité et la notion de crise qui sous-tend cette discontinuité. Il se montrait fidèle aux thèses hégéliennes de la dialectique.
Cet auteur se distingue en cela de Piaget, qui valorise plutôt, dans sa propre description des stades du développement infantile, les interactions au détriment des ruptures. Émile Jalley remarque par ailleurs que Wallon a été en interaction avec la psychanalyse : selon cet auteur, il aurait repris certaines observations ou concepts de Freud dans ses développements théoriques.. Une observation faite par Wallon, publiée en 1931 sous l’intitulé « Comment se développe chez l’enfant la notion de corps propre »5, a inspiré le concept de « stade du miroir », que le psychanalyste Jacques Lacan a ensuite particulièrement développé6.

S’intéressant à la théorie psychosociale du développement de la personnalité (constructiviste), Wallon affirme que « l’objet de la psychologie est de faire connaitre l’identité de l’homme sous différents aspects », on ne peut pas étudier l’homme en dehors de son milieu, il faut donc étudier les relations avec son milieu naturel et social. Dès la naissance, on est dépendant des autres ce qui amène à la communication et l’interaction sociale : « l’émotion fait le lien entre le biologique et le social », on ne devient pas un être social, on en est un.

Pour compléter cette approche cognitiviste et psychosociale, Lev Semionovitch Vygotski (1896 -1934)7, psychologue russe, élabore un concept important : « la Zone de Développement Proximal ». Ce concept définit justement la distance entre le développement actuel de l’être humain et le niveau qu’il atteint au moment où il résout des problèmes à l’aide de pairs. C’est dans cette possibilité d’interaction humaine qu’a lieu le jeu. Au moment où il joue, l’enfant met en exercice les différentes combinaisons permises par le cerveau, et c’est justement dans cette quête de la meilleure combinaison qu’apparaît la créativité en son essence. Pour Vygotski, la créativité peut surgir dans les jeux d’imitation, qui sont l’écho de ce que les enfants ont vu et écouté.

Tous les travaux de cet auteur ne sont malheureusement que partiellement publiés. Il est un lecteur assidu de Freud, Piaget, Köhler, Stern, Gesell et autres… Il publie également des préfaces aux éditions de ces auteurs. Il élabore une théorie des fonctions psychiques supérieures grâce à la méthode génétique, conçue comme une « histoire sociale » c’est-à-dire qu’en référence à la théorie sur l’« excentration » de Leontiev, les transmissions ne sont pas simplement d’ordre héréditaires, mais aussi culturelles. Pour Vygotski, l’apprentissage est un processus d’appropriation de ces systèmes, un processus d’appropriation de ces outils. Plus simplement, Vygotski dit que l’intelligence se développerait grâce à certains outils psychologiques que l’enfant trouverait dans son environnement parmi lesquels le langage serait un outil fondamental. Ainsi, l’activité pratique serait intériorisée en activité mentale de plus en plus complexe grâce aux mots, source de la formation des concepts. 

Pour Vygotski, le langage dit « égocentrique » de l’enfant comporte un caractère social et se transformera ensuite en langage dit « intérieur » chez l’adulte. Ce langage serait un médiateur nécessaire dans le développement et le fonctionnement de la pensée. Il présente à partir de travaux expérimentaux le développement des concepts sous forme de complexes chez le tout petit enfant, jusqu’aux concepts élaborés, employés par les adultes. Le travail de cet auteur articule plusieurs concepts clés qui sont essentiels dans la compréhension du développement précoce de l’enfant. Un des plus importants est celui concernant les zones de développement dont la zone proximale de développement (ZPD) qui décrit l’espace entre les tâches que l’enfant peut réaliser lui-même et celles qu’il parvient à réaliser avec l’aide d’une personne plus avancée dans ce domaine. La ZPD est donc tout ce que l’enfant peut maîtriser quand une aide appropriée lui est donnée. Vygotski pensait que les enfants pouvaient réaliser et maîtriser des problèmes difficiles dans la mesure où ils sont guidés et aidés par une personne compétente, généralement un adulte au cours d’une collaboration. Ainsi, l’éducateur porte bien une fonction, il n’a pas qu’à attendre que l’enfant construise par lui-même, en toute autonomie, ses savoirs, par une maturation psychologique plus ou moins naturelle. C’est là une critique du concept d’éducation négative développé par Jean-Jacques Rousseau. 

La sixième ligne d’analyse a été développée par mes soins, elle concerne la psychanalyse des liens et les médiations comme ressources et comme tâches explicites pour le développement de la tâche implicite du « grupo operativo » d’apprendre à apprendre et à penser avec les autres. Pour commencer je vais situer la question du jeu et du groupe. 

b. Le jeu dans la clinique de l’apprentissage groupal 

La difficulté d’apprentissage des enfants m’a poussé à introduire des médiations ludiques pour aider au processus de symbolisation et de leur reconnaissance de la capacité créative des enfants dans le groupe. La psychanalyse de liens nous a ouvert aux autres disciplines pour re-signifier les différents niveaux du sujet, du groupe et de l’institution8

C’est alors que j’ai introduit le dispositif de « grupo operativo » pour les enfants et les jeunes (Jaitin, 1982)9. Les dispositifs groupaux sont multiples et chaque dispositif a une histoire fruit d’une expérience clinique accumulée. La question s’orientent alors sur « comment le dispositif permet de développer le passage d’une  symbolisation primaire à une symbolisation secondaire et tertiaire ? ». C’est-à-dire que le dispositif va varier selon les possibilités de symbolisation des sujets, les médiations qui y participent et les ressources interprétatives ludiques du thérapeute (Roussillon, 1955)10. Le cadre va imposer des transformations dans la mesure que le travail interprétatif du thérapeute dégage la signification latente du jeu à partir des actions manifestes et introduit des jeux qui ont la valeur d’une interprétation. 

Dans le grupo operativo, il s’agit d’interpréter la dynamique groupale et d’inclure des jeux qu’a la valeur d’un thème pour aborder la tâche manifeste du groupe. Et par cette voie, il s’agit de travailler la dynamique des liens. 

Dès notre conception, la santé mentale serait équivalente de la capacité d’apprendre et de créer. Elle est définie comme la capacité d’un sujet à s’approprier instrumentalement la réalité dans la double limite de la réalité interne et l’externe. L’apprentissage est ainsi conçu comme une construction active, à travers laquelle le sujet se modifie et transforme le monde qui l’entoure. 

Ma clinique avec le groupe d’enfants qui souffraient de troubles d’apprentissage m’a poussé à réfléchir sur la question du plaisir et du déplaisir qui provoque les difficultés pour apprendre à l’école. L’étude de ce sujet m’a amené à comprendre le lien étroit entre apprentissage et plaisir-déplaisir. Les bons souvenirs mais aussi la croyance d’un adulte sur les capacités de jouer qui se mettent tout de suite en évidence, redonne la confiance de la potentialité pour apprendre. Cette position croyante ouvrait des portes à l’apaisement des angoisses qui provoquent le sentiment d’ignorance. 

Dans cette perspective, le jeu créatif ne serait pas seulement un moyen d’apprendre, mais un modèle de la relation du sujet avec lui-même et avec les autres au niveau de sa santé mentale. La créativité serait, en cela, une position vers le monde (Jaitin, 1985-1986).11 

L’appropriation du savoir dépendrai alors de l’implication du sujet : c’est-à-dire que le sujet doit se jouer et s’engager. Or, cet engagement serait à l’origine d’un état de confusion et d’indifférenciation avec les autres. En ce sens, la confusion mobilise la pensée et les affects et provoque un état de conflit, qui est vécu comme un sentiment de perte et met en marche le processus de création dans la recherche d’un « trouver-créer » de relations imprévisibles. 

c. Comment les jeux vont aider au développement de l’apprentissage groupal ? Le groupe est un miroir. 

La représentation des possibilités d’apprentissage d’un sujet serait le résultat de son estime de soi. Ce problème nous conduit à poser la place du Moi dans le processus de connaissance-reconnaissance, dans son développement en relation avec le Surmoi. 

Freud soutient que le narcissisme provient des « croyances illusoires », où l’autre est un double de soi. L’autre n’est pas, « absent » mais non-discriminé. Une autre possibilité consiste à penser à l’autre quand, en réalité, on est face à sa propre image. Ce moment narcissique est observable dans le jeu parallèle ou le monologue collectif dans le groupe d’enfants, c’est-à-dire à ce moment où « un autre » sert seulement comme stimulation face à l’action propre. 

Toute catégorie cognitivo-affective serait le résultat d’une liaison qui aurait une inscription corporelle au niveau intra-utérin. Dans cette perspective, le corps serait une aire intermédiaire ou d’intermédiation. 

C’est la « représentation du » Moi-corps-groupe, du self, qui organise la projection des objets et des liens dans les trois « dimensions projectives » (mental, corporel et social). 

Demandons-nous encore comment se constitue cette représentation du Moi ? 

Les liens sont un système de signes d’où s’articulent signifiants et signifiés. Au début, l’indifférenciation sujet-objet fait que le « je » que le sujet construit comme image de lui est celle qu’un autre a de lui. 

Le corps serait une aire intermédiaire, parce que la première conception que le sujet a de lui-même est d’ordre « sensoriel, visuel, perceptif ». Si le « Moi corporel » dérive des sensations corporelles et des projections de sa surface alors la première « représentation du Moi » est une représentation corporelle. Cette notion de « schéma corporel »12 est défini comme « l’image tridimensionnelle que chacun a de lui-même, comme projection de la surface corporelle ». L’enfant conçoit son corps et le corps groupal comme une unité. L’intégration progressive postnatale a un axe structuré prénatal (le proto-schéma corporel) qui est intégré à partir des stimulants intéroceptifs et proprioceptifs de la vie foetale. Le lien avec l’objet est établi et exprimé à travers le corps, comme structure spatio-temporelle de la personnalité. 

Pichon-Rivière dégage la double acceptation du Moi, comme représentation et fonction, qui mène à bien la perception-la conscience, l’accès à la motilité, les mécanismes de défense, etc. En réalité c’est à partir du système perception/conscience et la motilité que s’établissent les relations aux autres. A partir de ces fonctions, on structure des représentations. Mais ce qui m’intéresse, c’est de dégager le fait que les représentations que le sujet a de lui-même ont une incidence centrale sur les fonctions psychiques et corporelles. Quand ses fonctions sont aimées, l’auto-estime du Moi est un acquis. Ainsi l’enfant qui a du succès dans ses apprentissages scolaires face à la découverte du langage écrit augmente son auto-estime, cela le valorise et, en conséquence, l’amène à aimer la langue écrite. C’est-à-dire qu’il y a ici une satisfaction de nature narcissique qui renforce le Moi propre de manière positif ou négatif. 

Les enfants refusent les activités scolaires, tant cette activité est signifiée comme échec et apporte, par conséquent, des dommages à son auto-estime. Cela constitue des cas assez fréquents d’inhibitions progressives de la fonction. Par exemple, l’enfant ne peut pas penser en termes logico-mathématiques, parce que toute cette partie de la pensée a une connotation déplaisante et l’affect bloque la capacité de penser ou d’agir. 

En fonction du fait que l’expérience de l’apprentissage groupal sera perçue comme plaisante ou déplaisante par le Moi, on va tendre à exercer ou inhiber le développement de cette fonction. Cet exercice est décodé par un autre, d’où il se signifie. Quand, dans le développement moteur (par exemple, apprendre à s’asseoir est décodé comme non-réalisation de l’enfant qui ne marche pas), la fonction pourra être inhibée. L’enfant est identifié par l’image avec laquelle les autres l’identifient. Cette perception de lui-même s’établit par rapport à un autre, une représentation de soi, son schéma corporel est à la fois résultant et promoteur d’un type particulier de lien. Le corps agit comme axe organisateur de représentations, de soi vers l’autre et à l’inverse. 

Le développement lacanien13 sur l’image unifiée du corps de l’enfant (stade du miroir), la représentation unifiée et le fantasme du corps fragmenté sont construits dans un même acte. La vision de cette image spéculaire représente un saut dans le développement, parce que l’enfant va dépasser de la non-coordination motrice à la signification de celle-ci. Le groupe va alors confronter le sujet à ce paradoxe du corps divisé et du miroir rencontré dans la présence de l’autre. 

À ces descriptions spatiales du schéma corporel, Pichon-Rivière14 ajoute le facteur temporel qui « constitue la structure tetra-dimensionnelle de l’affect ». C’est-à-dire que la temporalité et la spatialité vont ensemble. 

Mes recherches avec les enfants, les adolescents et les adultes m’ont conduit à introduire la notion de proto-rythme15 16 17alors que Pichon-Rivière18 parlait d’une situation pathorythmique dans ses études sur l’épilepsie. 

Les proto-rythmes individuels ou groupaux sont exprimées en termes de vitesse. Ils vont des inhibitions et du ralentissement des processus initiaux au pôle explosif des crises colériques ou d’hyperactivité, qui apparaissent souvent face à la frustration, comme défense face au sentiment d’impuissance. En ce sens, il se produit une inadéquation temporelle entre la demande et sa satisfaction. Les proto-rythmes déterminent des formes que nous pouvons nominer, proto-apprentissages. Ces proto-apprentissages sont liés à la notion de proto-mental introduit par Bion.19 20 Les proto-apprentissages seront des styles pour apprendre à apprendre ». Le corps propre et de l’autre sera le moyen sensoriel de la connaissance (auto et hétéro-érotisme). Avec le processus de maturation du Moi, qui permet de garder en mémoire la chaleur de la rencontre avec l’autre, les liens se dévoilent dans des oscillations entre l’amour et la haine. 

d. De la représentation corporelle à la représentation du Moi qui apprend à apprendre

La construction de la réalité advient par des aires d’expression des liaisons ou les formes de langage des liens : l’aire mentale, l’aire corporelle et l’aire sociale. Les aires d’expression des liens seraient des espaces de représentation et de symbolisation du lien, des langages de relation du sujet avec lui-même et avec les autres. Ces codes sont régis par des mécanismes défensifs que nous pouvons observer dans la forme de penser, dans le corps et dans les formes de l’agir. La psyché se manifeste par le sensoriel, les actes ou les paroles, qui rendent compte des états affectifs au niveau inconscient. Plus précisément, les aires d’expression des liens sont des épiphénomènes qui permettent l’observation pour comprendre la joie et la souffrance dans les relations du sujet avec soi-même et avec les autres. Les aires d’expression ou les formes du langage du lien seront nommées par Pichon Rivière comme « principe de pluralité phénoménologique ». 

Pichon-Rivière21 définit les aires d’expression du lien comme des milieux perceptifs symboliques à caractère spatio-temporel. Les trois aires d’expression de liens co-existent de manières indifférenciées. La pensée (aire 1), est celle qui commande le fantasme inconscient, le self, la représentation du Moi et à partir de cette représentation s’organisent les objets et les liens dans toutes les dimensions projectives. Comme je l’ai remarqué précédemment, le corps (aire 2) se constitue à partir d’un proto-schéma corporel et des rythmes, qui organisent des proto-représentations. Nous pouvons aussi le comparer avec la notion de pictogramme de Piera Aulagnier22.
La première aire d’expression manifeste serait l’aire 2 (corps), autant du point de vue ontogénique que phylogénétique. L’aire 1 (le mental) se différencie à mesure que la capacité de représentation permet de remplacer les actions concrètes par les symboles. La formation de cette aire facilite la différenciation entre moi et non-moi.

Pour Pichon Rivière le niveau d’angoisse du sujet produit une confusion entre l’espace extérieur et l’espace interne du lien. Cet état d’indifférenciation provoque des états de confusions. 

1. Mental 
2. Corps 
3. Monde social

Du point de vue psychopathologique, les névroses pourraient prédominer dans l’aire mentale ; les maladies psychosomatiques prédomineraient dans l’aire du corps ; alors que dans la psychopathie et les perversions c’est le monde social qui prédomine. Ainsi dans les psychoses, les trois aires coexistent. Bleger23 considèrent toujours la prédominance d’une aire comme un mode d’expression phénoménologique du conflit de lien. 

3. Abordons maintenant le troisième aspect de la construction de la notion de lien qui concerne les domaines. 

Il s’agit de l’amplitude ou de l’extension du lien humain, dans lequel José Bleger24 et Enrique Pichon Rivière25 distinguaient le sujet, le groupe et la relation des groupes entre eux (institution). Les domaines ne sont pas exclusifs mais ce sont plutôt des points de vue de la perspective où le lien est situé. Pour ces auteurs la construction sociale et individuelle de la réalité se constituent en simultanée. 

Aussi, l’observable est toujours un émergent d’une situation et le contexte de l’observation conditionne l’observable, et les variables possibles à observer. 

Ces deux auteurs distinguent trois domaines

a. Le domaine du sujet : il s’agit domaine psychosocial car la psyché se construit en interaction avec les autres à partir des conditions concrètes d’existence. Plus récemment Berenstein-Puget26 et Kaës27 le définissent actuellement comme intra-subjectif

b. Le domaine du lien proprement aura comme prototype le groupe (domaine socio-dynamique qui correspond à l’analyse des liens de couple et de famille). Nous l’appelons aujourd’hui domaine inter-subjectif

c. Le domaine de l’institution (espace des groupes entre eux, communautés et groupes institutionnels) serait aujourd’hui défini comme étant trans-subjectif

Dans les investigations actuelles en psychanalyse des liens, ces trois domaines correspondraient à la cure psychanalytique, aux dispositifs de liens groupaux et aux dispositifs institutionnels. 

Pour résumer, l’analyse des domaines sont un antécédent des recherches actuelles sur le lien qui correspondent aujourd’hui aux niveaux intra-subjectifs, inter-subjectifs et trans-subjectifs. 

4. Les Champs des liens 

Pour terminer d’examiner les voies de l’analyse du lien, la question du champ d’observation psychique devient un outil clinique indispensable. Les champs se réfèrent au contexte particulier d’observation, à son degré de symbolisation et à la qualité des liens qui mobilisent différents mécanismes transférentiels et contre-transférentiels. 

Les champs d’observation vont varier selon les possibilités de symbolisation, sensorielles, par les actes, par les rêves ou par les associations verbales. 

Le dispositif varie selon les champs d’observation qui correspondent aux niveaux de la symbolisation et à la configuration du lien (couple, famille, groupe, institution, communauté). 

Cette notion de champ a été reprise dans le dispositif de la cure par Willy et Madeleine Baranger (2000)28, dans le dispositif de groupe par Claudio Neri (2011)29 et dans le dispositif de la thérapie familiale psychanalytique par Rosa Jaitin (2007)30


a. Champ de symbolisation observable 
b. Champ psychologique ou inconscient 
c. Champ environnement ou contexte 

a. Champ d’observation psychique conscient ou préconscient (aires d’expression du lien (mental, corporel, monde externe) et la qualité du lien. 

b. Champ psychologique proprement dit (inconscient). 

c. Champ environnemental qui correspond autant au contexte général de la session qu’au contexte géographique. 

C’est à partir des études sur les aires d’expression des liens (corporel, mental, social), des domaines (intra, inter et trans-subjectif) et des champs des liens (observables, inconscient et le contexte), que j’ai commencé à penser l’introduction des jeux dans le groupe d’enfants. Mais aussi à partir de mes études en psychanalyse groupale appuyée sur l’école argentine et l’école française. Dans la conception de chaque auteur autour du processus de la représentation groupale, nous pouvons chaque fois rencontrer des points d’accordage. 

e. Construction de la Représentation groupale 

René Kaës31 a différencié quatre moments que nous pouvons définir aussi comme positions (par sa récurrence) dans la construction de la représentation de groupe : le moment fantasmatique, le moment idéologique, le moment figuratif transitionnel et le moment mythopoïétique

J’ai repris ces différents moments pour repenser la question dans le modèle du « grupo operativo ». 

Le moment fantasmatique serait le moment originaire et son premier organisateur groupal, c’est-à-dire l’image du corps et la construction de l’espace groupal. L’espace rencontré et créé serait la base matériel du groupe. Il s’agit de l’externalisation des processus primaires des groupes internes. Le processus de construction du groupe se réalise par des processus primaires de la groupalité psychique (déplacement des intensités de représentations ; diffraction de personnages ou objets qui disséminent les différents aspects du Moi ; multiplication du semblable qui représente la fréquence d’une action ; et l’inter fantasmatisation que sont des fantasmes partagés ; scénarios de désirs inconscients). Au final, de ce moment, il se crée un effet de coïncidence avec l’ensemble, caractérisé par Anzieu32 comme une illusion groupale isomorphique. Pour Pichon Rivière, la constitution groupale s’organise par rapport à une tâche, qui met le groupe en marche. La présence des autres et la réalisation de la tâche mobilise et intensifie les angoisses de base provoquées par la perte identitaire et la peur de l’attaque de la nouvelle situation inconnue. Le moment ou la position fantasmatique pourrait, pour moi, être appelée « moment d’indifférenciation » car l’intensité des angoisses et ses effets identitaire provoquent une indifférenciation entre le soi et le groupe33. Cette indifférenciation continue jusqu’à la fin de cette étape, mais la persécution initiale se transforme en sentiment de plénitude océanique. 

Voyons la suite du démarrage de la dominance d’une pensée idéologique. 

Le Moment ou position idéologique met en évidence les clivages, l’identification projective, un replie narcissique et la prépondérance des mécanismes de projection, dénégation, et annulation. L’objet transitionnel devient un objet fétiche. Nous devons admettre que la pensée idéologique est inaugurale de la constitution de la pensée et met en oeuvre le déni de la perte de l’objet. L’idéologie a une double bordure : structurante et clôturante34. D’un côté, l’idéalisation primaire serait une satisfaction négative obtenue par les effets d’une valorisation narcissique d‘une perfection (Green, 1969). Elle serait liée à Eros qui lie les pensées et crée les conditions de certitude nécessaires pour constituer une identité collective d’appartenance à un groupe. Mais l’idéologie radicale, militante ou militaire est froide, paranoïaque et délirante dans sa lutte pour sauver le monde. Elle a des effets sur la perversion du savoir et de la connaissance. C’est la nécessité de se représenter l’adhérence et la recherche obsessionnelle de cohérence interne qui peut se manifester dans la adhésion acritique à des idées ou à des personnes. Dans le groupe, se manifeste alors un clivage entre les amis et les ennemis, les savants et les ignorants, les hommes et les femmes ; mais aussi avec des positions radicales de la pensée ou dans l’agir qui poussent à suivre au meneur de ses mouvements de clivage. J’ai appelé ce moment ou position dilemmatique car émergent des sous-groupes qui portent différentes postures emblématiques ; les antithèses se stéréotypent et les postures deviennent rigides et exclusives. L’activité préconsciente de chacun des membres du groupe ouvre ou inhibe l’activité préconsciente de l’autre. 

Le moment suivant produit un effet d’ouverture de la pensée. 

J’ai appelé cette position figurative transitionnelle, le moment problématique. La pensée alpha prend sa place et il devient possible d’introjecter des contenus vécus comme stables et protecteurs. La pensée secondaire rend intelligible les vécus du processus primaire et les symboles de culture prêtent leur aide au processus de symbolisation. Ainsi, le groupe commence à se différencier. Il émerge alors de nouveaux espaces transitionnels qui permettent d’accéder à de nouveaux projets. 

La dernière séquence, mythopoïétique, permet au groupe de traduire l’inconscient à l’expérience culturelle et sociale. Les mythes, les contes ou autres formes de créativité permettent une nouvelle organisation  symbolique et l’intégration des aires d’expression des liens. Le dispositif du grupo opérativo, relance en cela l’activité du préconscient et les processus tertiaires. Les processus associatifs et la représentation mutuelle s’organisent dès lors à partir de représentations partagées qui fonctionnent comme organisateurs inconscients ou, ce que l’on nomme « tâche implicite ». 

L’espace psychique interne se différencie des topiques groupales, ce qui provoque de nouvelles crises face à la séparation nécessaire du groupe. 

f. Apprentissage, jeu et plaisir 

Mes recherches cliniques sur le grupo operativo d’enfants et la compréhension des aires d‘expression des liens m’a permis de penser à introduire différentes techniques de jeu, pour mettre en relation la dynamique inconsciente groupale et la logique du préconscient. 

J’ai différencié alors 4 stades

Premier stade : la reconnaissance 

Au début de la vie du groupe, j’ai travaillé avec différentes techniques de reconnaissance. Le problème central, dans les grupos opérativos d’enfants était d’équilibrer le type de techniques ludiques et de la logique de la pensée secondaire. Si le niveau d’information est excessif, les mécanismes défensifs deviennent très rigides. Mais si l’excès de distance affective empêche l’identification avec la tâche à réaliser. 

Le travail de reconnaissance groupale suppose une reconnaissance spatiale (cabinet), des éléments de jeu déposés dans la caisse du groupe ; et la reconnaissance du propre corps en relation avec le corps des autres. 

Dans les premières séances, les jeux de reconnaissances : reconnaissance d’un autre à partir de la voix, de la marche, les jeux de cache-cache ou bien de changements dans la coiffe, les habits, dans le cabinet même, permettent de contenir l’angoisse du vide qui caractérise les premières rencontres groupales. 

Progressivement apparaissent des jeux de cachettes, pour une reconnaissance de l’habitat même, comme : « chercher en silence », qui consiste à découvrir, sans le communiquer verbalement, un élément caché ; ou bien un jeu comme « le changement », où un détail personnel du thérapeute a été modifié, par exemple sur son costume, etc. 

C’est ainsi que sont présentés des cordes, des ficelles, des éléments de déguisement. A la fin de chaque séance, l’équipe de thérapeutes analyse la dynamique groupale et associe librement sur les consignes de la séance suivante. Ces consignes portent la valeur d’une interprétation ludique, d’un dialogue entre le groupe et les thérapeutes. Elles sont introduites au début de séances, après le moment lorsque les enfants retrouvent une place dans le cercle ou autour d’une table. 

Second stade : le dilemme 

La nécessité de laisser apparaître l’ambivalence dans les liens, mène à inclure de jeux qui facilitent l’expression de la rivalité. Naturellement, l’autre enfant (et pas soi) est caractérisé comme « celui qui ne sait pas » et fait souvent l’objet de moquerie et du sadisme. 

C’est alors que le psychodrame devient un objet précieux. Les enfants vont recréer des situations de la vie scolaire, des autorités institutionnelles (direction, personnel enseignant, surveillants), le reste du groupe joue le rôle d’effectif scolaire. Plusieurs alternatives se sont mises en évidence : 

a) les « élèves » s’adaptent passivement aux consignes. 

b) les « enseignants » sont représentés par des personnages exigeants et persécutants, qui signalent les erreurs même quand les réponses peuvent être correctes. L’identification avec un maître qui persécute et dénigre met en scène le fantasme de l’enseignant-sorcière qui a le pouvoir du mal. 

Quelques fois sont joués des gentils enseignants et des enfants impitoyables, mais ce n’est pas habituel. Les techniques d’inversion de rôles ou les jeux des miroirs permet confronter leurs modèles internes avec les autres. 

Une autre ressource ludique est le « jeux de cartes »., à un ou à deux ou les jeux de hasard met en travail les fonctions du préconscient, telle que la reconnaissance visuelle, des mécanismes d’analyse et de synthèse, la reconnaissance de liens de filiation végétal, animal ou humain. La tricherie, le temps d’attente entre les joueurs, les événements traumatiques sociaux et familiaux des enfants et leurs familles ont pu être accueilli dans le groupe. 

Il est toujours un intermédiaire entre les bordures de l’intra-psychique, l’intersubjective et le lien familial et social. 

Dans un groupe d’enfants de 7-8 ans*, l’introduction d’un Jeu de cartes où le joker était le « loup féroce », nous a permis d’élaborer un épisode traumatique dans les écoles, où plusieurs enfants avaient fait l’objet d’agressions physiques. Cela avait produit une situation de panique chez les enseignants, les parents et les autorités nationales qui n’arrivaient pas à contrôler la situation. 

Les dessins individuels ou collectifs était particulièrement importants dans un groupe avec des enfants portant l’épilepsie. Tandis qu’un des enfants représentait un joueur de football pris dans un filet, d’autres, montraient des terrains vides. Ces différentes représentations ont donné des indices sur la façon dont les enfants et leurs mères se représentaient la maladie et le noyau de la maladie dans les familles. La personne qui emmenait l’enfant à la thérapie de groupe d’enfants participait en parallèle à un « groupe thérapeutique familial simultanée animé pour un autre équipe de thérapeutes. La post-séance de ces deux équipes nous permettait de comprendre les différents niveaux des liens des enfants et des parents. Ce dispositif en double apporta un grand étayage au développement du travail thérapeutique. Enfin, la constitution de sous-groupes dans le groupe d’enfants, était marquée par des différences sexuelles : les filles choisissait des activités plus tranquilles, sauf quand les garçons leurs demandaient de jouer ensemble. 

Troisième stade : la rencontre 

Dans cette étape, le groupe a une illusion d’auto-approvisionnement et c’est le groupe même qui présente ses propositions pour jouer. Les enfants transportent une série de croyances partagées et systématisées par tous les membres, ce qui les porte au récit d’une « histoire collective », à travers la représentation qu’ils ont de leurs positions propres et de ceux de leurs camarades. 

Le groupe crée des jeux. Un groupe d’enfants de 8-9 ans crée un jeu de classification de noms propres avec un alphabet. Dans cette étape, les enfants « reprennent des anciens jeux liés à l’histoire du groupe ». Le thérapeute est un « témoin » oculaire et le transfert latéral domine. Le groupe arrive à une autorégulation. Les jeux de marchand, la manipulation de l’argent, comme valeur d’échange établit une différence dans le donner-recevoir qui se devient plus complexe, selon la taille et la caractéristique du commerce à envisager. Un groupe d’enfants de 10 – 11 ans avait proposé de travailler sur « le livre des voyages » : le contenu de ce dernier permettait de comprendre les normes de circulation en différents moyens de transport (voiture, bus, avion, bateau) dont les codes sont universels. Ils pouvaient aussi reconnaître les parcours que chacun effectuaient pour arriver au cabinet où nous nous réunissions ; différenciant les lieux d’origines d’où ils provenaient eux et leurs groupes familiaux. Sont apparus également des projets de vacances. Ces « voyages » donnaient des indices sur les tentatives du groupe de se reconnecter avec l’extérieur, à partir d’un processus de discrimination de leurs histoires passées et de leurs projets futurs. 

Dans cette étape, les absences des enfants sont fortement prises en considération par le groupe, et ils adaptaient le choix de jeux au nombre de membres présents. La pensée verbale était utilisée comme code communicationnel, il y avait une plus grande préoccupation pour les autres, dont ils requièrent la collaboration pour la résolution de leurs propositions. 

Quatrième stade : pertinence 

À ce moment de la vie du groupe, les enfants dévoilent et partagent leurs problèmes personnels, familiaux et scolaires. Le groupe agit alors comme un outil de discrimination entre les difficultés personnelles et de celles que présente la réalité externe. 

Dans un groupe d’enfants, de 7-8 ans, un membre a raconté qu’il avait reçu une mauvaise note en lecture. On lui a demandé de lire et il l’a convenablement fait. On a invité le groupe à faire des commentaires. Un des enfants a dit que les caractères utilisés étaient rares (c’était une impression peu commune), d’autres ont commencé à attaquer le langage, parce qu’en réalité, c’était une mauvaise poésie et, en troisième lieu, le contenu niait le travail de l’homme, en plaçant le « soleil » comme facteur central dans la production agricole. Dans cette période, d’autres jeux revenaient à « raconter une histoire », où chaque membre continue l’histoire de celui qui le précède. Avec un autre groupe, nous avons écrit un livre avec des illustrations et les différences sexuelles sont surmontées. 

Le lien avec l’autre, l’établissement des codes communs et de l’aide mutuelle pour résoudre les tâches du groupe, la réassurance d’un lieu différentiel pour chaque enfant, aidait à partager la souffrance et leurs espoirs. Les paramètres pour l’introduction de jeux spécifiques dans les différentes étapes du groupe tiennent en compte : 

a) Le niveau de développement de la pensée des enfants et de leur profil psychopathologique. 

b) La possibilité des enfants de donner au groupe la place d’un étayage et la compréhension de la dynamique groupale de l’équipe soignante. 

Articulation des niveaux d’analyse de la tâche manifeste et latente du groupe 

1- Il existe un ordre de succession dans l’évolution des acquisitions psychiques, cognitives et sociales qui sont constantes. Ceci n’évoque pas une chronologie, mais une interrelation entre la potentialité de l’enfant et son contexte. 

En ce sens, la constante c’est l’émergence de certaines qualités spécifiques de la vie du groupe, du sujet et de la tâche à accomplir. 

2- Chaque moment intègre, transforme et structure le passé et la nouveauté du présent inédit. La construction groupale de la représentation mutuelle donne les possibilités d’accès à la pensée symbolique et à l’apprivoisement de l’objet de connaissance. 

3- Chaque moment de la vie du groupe présuppose une « structure d’ensemble », où chaque élément est mis en interrelation avec le reste. Il y a toujours une étape de « préparation » et une autre de clôture qu’impose la séparation, de nouvelles ouvertures. 

Mon travail clinique avec les « grupos operativos » d’enfants, de jeunes et d’adultes me permet de certifier que le jeu et le groupe de pairs sont des chaînons d’or et de diamants pour l’accès à une pensée ouverte à de nouvelles pratiques créatives. Le groupe est ce qui rend possible le passage de la présentation à la représentation, c’est la liaison avec l’autre qui oblige à concilier en un seul acte, les différentes perspectives et niveaux de la réalité. Ce qui émerge entre sujet et objet est une qualité qui représente un mode de relation : un lien. L’appréhension du processus d’apprentissage passe par l’étude de ce lien, c’est-à-dire, par ce type particulier de lien entre sujet et objet. Dans cette perspective, l’axe du processus d’apprentissage n’est pas mis dans le sujet épistémique (sujet qui apprend) ni dans l’objet à appréhender, mais dans le développement de la relation entre les deux. J’ai précédemment souligné le caractère processuel de l’apprentissage ; puisqu’il est déterminé par les degrés de développement de la contradiction. Comprendre le processus d’apprentissage signifie élucider les lois de transformation de cette structure relationnelle dans les trois dimensions du temps : la genèse de sa construction, le présent de la rencontre et le projet. 

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1 Freud S. (1920), Au-delà du principe de plaisir In Essais de psychanalyse, PUF, 2004
2 Klein, M. (1920), La psychanalyse des enfants, PUF, 2009, Collection : Quadrige Grands texte 3 Winnicott, D. W. (1951), Jeu et réalité. L’espace potentiel, Paris, Gallimard, 1975
4 Freud, A. (1968). Le normal et le pathologique chez l’enfant, Paris, Gallimard, 1975
5 Wallon, H. (1931), « Comment se développe chez l’enfant la notion de corps propre » In Enfance, tome 16, n°1-2, 1963, pp. 121-150
6 Lacan, J. (1949), « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique », Revue française de psychanalyse, Octobre 1949, p. 449-455
7 Vergnaud, G. (2000), Lev Semionovitch Vygotski. Pédagogue et penseur de notre temps, Hachette Education
8 Il a aussi ouvert l’analyse vers les différentes dimensions de la temporalité, entre le passé, le présent et le futur. L’interférence de tous ces niveaux me fait associer sur la pensée et les réflexions de Janine Puget sur la nécessité de la science actuelle de faire appel à la théorie de la complexité qui continue l’épistémologie convergente de Pichon Rivière
9 Jaitin R. (1982), Clinique Groupal d’enfants, Buenos Aires, Trieb  
10 Roussillon R. (1995). « Les fondements de la théorie du cadre et la spécificité du travail de symbolisation groupal à la latence », In Privat P.-Sacco F. Groupe d’Enfants et cadre analytique, Paris, Erè  
12 Pichon-Rivière, E. (1951), Trastornos del esquema corporal en la epilepsia, el Ateneo de Neurología, Buenos Aires (Non publié) 
13 Wallon, H. (1931), Les origines du caractère chez l’enfant. Les préludes du sentiment de personnalité, Paris, PUF, coll. « Quadrige Le psychologue », éd. de 1983  
14 Lacan, J. (1936), Le Stade du miroir comme formateur de la fonction du Je : telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique », Revue française de psychanalyse, octobre 1949, p. 449-455 
15 Jaitin, R. (1982, 1985) – A la suite Pichon Rivière qui s’est intéressé à certaines pathologies du rythme, j’ai été amenée à porter mon attention sur la dimension rythmique dans le groupe d’enfants. J’ai pu observer des modalités d’expression de ces proto-rythmes dans mes recherches sur le groupe opératif d’enfants, dans le groupe d’étudiants universitaires et dans mes recherches sur le groupe fraternel. (Jaitin, 2000) 
16 Jaitin, R. (1995), La représentation du temps et de l’espace épistémique (chez les étudiants argentins et français), Thèse du doctorat, Institut de Psychologie, Université Lumière Lyon 2. 
17 Jaitin, R. (2000), Tempos ou rythmes de filiation et d’affiliation dans les “nouvelles familles”, In Blessures de la filiation, Le divan familial, Paris, Press Éditions, 5, 129-137. 
18 Pichon-Rivière, E. (1941), Algunos conceptos fundamentales de la teoría psicoanalítica de la epilepsia, in El proceso grupal. Del psicoanálisis a la psicología social I, Bs.As. Nueva Visión, 1975 
19 Bion, W.R. (1963), Eléments de psychanalyse, Paris, PUF, 1979 
20 Bion, W.R. (1962), Une théorie de l’activité de pensée, In Réflexion Faite, Paris, PUF, 1983 
21 Pichon-Rivière, E. (1970), Una Teoria de la Enfermedad, Clase N°25, Primer Año, Primera Escuela Privada de Psicologia Social, in El Proceso Grupal, del Psicoanalisis a la Psicologia Social, Buenos Aires, Nueva Visión, Tomo 1, 173-184
22 Aulagnier, P. (1976), La violence de l’interprétation, Paris, PUF 
23 Bleger, J. (1965), Psicologia de la conducta, Buenos Aires, Eudeba 
24 Bleger, J. (1967), Enrique Pichon Rivière, su contribucion al psicoanálisis y a la psiquiatría, Acta psiquiátrica de América latina, XIII, 347 
25 Pichon-Rivière, E. (1969), Grupo operativo y Modelo Dramático, In El Proceso Grupal : del psicoanálisis a la psicología social, Buenos Aires, Editorial Galerna, Tomo II, 302 
26 Berenstein, I. et Puget, J. (2008), Psychanalyse du lien. Dans différents dispositifs thérapeutiques, Paris, Erès 
27 Kaës, R. (2015), L’extension de la psychanalyse. Pour un métapsychologie de troisième type, Paris, Dunod  
28 Baranger, W. et M. (2000), Problemas del campo psicoanalítico, Buenos Aires, Kargieman 
29 Neri, C. (2011), Manuel de psychanalyse de groupe, Paris, Erès
30 Jaitin, R. (2007), Le champ transféro-intertransférentiel en Thérapie Familiale Psychanalytique, in Rencontres entre cultures et familles, Le Divan Familial, Paris, In Press., 153-166 
31 Kaës, R. (1993), Le groupe et le sujet de groupe, Paris, Dunod, p.221-223
32 Anzieu, D. (1971), L’illusion groupale, In Nouvelle Revue de Psychanalyse, 4, p. 73-93. 
33 Jaitin, R. (1982), Los contextos de desarrollo de la representación, In Clínica Grupal de niños, Buenos Aires, Ediciones Trieb. 
34 Kaës, R. (2016), L’idéologie, L’idéal, l’idée, l’idole, Paris, Dunod.