Le mot “représentation” (en allemand Vortellung, en anglais présentation, en espagnol representation ; en italien rappresentazione) est un “terme classique pour désigner ce que l’on représente, ce qui forme le contenu concret d’un acte de pensée et en particulier la reproduction d’une perception antérieure”. Freud différencie représentant-représentation : “groupe de représentations auxquelles la pulsion se fixe dans le cours de l’histoire du sujet et par la médiation desquelles elle s’inscrit dans le psychisme” et le représentant psychique, terme utilisé pour désigner la pulsion comme : « expression psychique des excitations endosomatiques” 1(Laplanche-Pontalis Dictionnaire de la psychanalyse).
Cela nous permet de différencier trois questions autour de la problématique de la représentation :
– Comment fonctionne l’appareil de pensée et comment la psyché enregistre-t-elle les expériences ?
– Quel type de régression se produit dans la pensée ?
– Quelles sont les formations intermédiaires impliquées dans ce mode de fonctionnement ?
Comment fonctionne l’appareil de la pensée ?
La première distinction posée par Freud est introduite dans la monographie sur l’Aphasie (1891)2 où il incorpore pour la première fois sa célèbre distinction entre la “représentation de chose” et la “représentation du mot”.
Il distingue l’“aphasie verbale” relative à des troubles au niveau de la représentation du mot et l’“aphasie symbolique” correspondant à des perturbations dans l’association entre la représentation du mot et la représentation de la chose.
Ensuite, c’est dans l’interprétation des rêves que Freud différencie le processus primaire et le processus secondaire. Il note que : “c’est dans les processus des rêves où l’on trouve que les “activités de la pensée les plus compliquées pouvant se produire sans que la conscience y prenne par” et il ajoute que : “le rêve interprète l’excitation extérieure objective ». 3
En outre, il signale que : “nous avons appelé désir ce courant de l’appareil psychique qui va du déplaisir au plaisir ; nous avons dit que seul un désir pouvait mettre l’appareil en mouvement et que le cours de l’excitation y était réglé par la perception du plaisir et du déplaisir”. « Désirer a dû être d’abord un investissement hallucinatoire du souvenir de la satisfaction. Mais cette hallucination, si on ne voulait pas la maintenir jusqu’à l’épuisement, se révélait incapable de faire cesser le besoin, d’amener l’agréable lié à la satisfaction”.
Aussitôt, il écrit que les différents fonctionnements de l’appareil psychique obéissent à des principes tout à fait différents liés au plaisir ou au réel. Voilà pourquoi il ajoute qu’: “en vertu du principe du déplaisir, le premier système est donc incapable d’introduire dans le cours de ses pensées un élément pénible. Il ne peut que désirer. S’il en restait là, le travail de pensée du second système serait entravé ».
“Le second système investit le souvenir de telle sorte qu’il en inhibe l’écoulement du développement du déplaisir. “Le second système ne peut investir une représentation lorsqu’il est capable d’inhiber le développement du déplaisir qui peut venir”.
De cette façon, il conclut en stipulant : “j’appellerai processus primaire celui qui admet le premier système seul ; processus secondaire celui qui se produit sous l’influence inhibitrice du second : le processus primaire s’efforce de faire se décharger l’excitation ainsi rassemblée ; une identité de perception, le processus secondaire a abandonné cette invention et l’a remplacée par une autre : atteindre une identité de pensée”.
Par ailleurs, Freud reprend en 1911 4 sa formulation sur l’appareil psychique dans laquelle il pose la question de la réalité : “toute névrose a pour conséquence de rejeter le malade hors de la vie réelle ; de le rendre étranger à la réalité”…”Il en résulte pour nous la tâche de faire des recherches sur le développement de la relation névrosée et de l’homme en général avec la réalité et d’inclure la signification psychologique du monde extérieur réel dans l’ensemble de notre doctrine. C’est seulement l’absence de la satisfaction attendue, la désillusion, qui a eu pour conséquence le renoncement à cet essai de satisfaction par voie hallucinatoire. Au lieu de ce procédé, l’appareil psychique a dû se décider à représenter les circonstances réelles du monde extérieur et à tendre vers le changement réel ; ce qui a été représenté n’a plus été l’agréable, mais bien ce qui était réel, même si cela devait se révéler un pas riche de conséquences”…”La conscience a appris à saisir les qualités sensorielles. Une fonction particulière fut installée, et a dû échantillonner périodiquement le monde extérieur”.
Ensuite Freud fixe la fonction de la représentation. « Pendant la domination du principe de plaisir, la décharge motrice avait servi à alléger l’appareil psychique de surcroît d’excitation” “La suspension, devenue nécessaire, de la décharge motrice (de l’action) a été assurée par le processus de pensée, formé lui-même à partir de la fonction de représentation. »
« La pensée a été formée de particularités qui rendent possible à l’appareil psychique de supporter la tension accrue de l’excitation tant que la décharge est différée. Il s’agit d’une activité de tâtonnement avec déplacement de petites quantités d’investissement et de dépense ou de décharge minimum de ces dernières. Pour cela était requis le passage d’investissements librement déplaçables à des investissements liés était requis…”.
« La pensée est à l’origine inconsciente, aussi longtemps qu’elle s’élève sur la fonction de simples représentants et se consacre aux relations entre les impressions objectales. C’est seulement par sa liaison aux restes verbaux qu’elle a acquis plus tard des qualités perceptibles pour la conscience”.
La compréhension du fonctionnement de l’appareil psychique nous permet de préciser le problème autour de la régression et autour des formations intermédiaires.
Cette question qui nous introduit au problème de la régression dans la pensée est éclairée avec précision dans le “Moi et le Ca” (1921-1923) 5 où Freud reprend l’hypothèse suivante :
“la différence effective entre une représentation, une pensée ics. et une pensée pcs consiste en ce que la première s’accomplit sur un matériel quelconque qui reste non connu, alors que par la seconde (le prcs)
S’ajoute la mise en liaison avec des représentations de mots » .
De cette façon Freud se réfère à “l’hallucination, non différenciable de la perception, peut apparaître quand l’investissement ne fait pas qu’empiéter la trace mnésique sur l’élément Pc.” C’est pourquoi : “les restes de mots sont essentiellement les descendants de perceptions acoustiques. Le rôle des représentations de mots devient tout à fait clair ».
Autrement dit :
De par leur intermédiaire, les processus de pensée internes ont été faits perceptions : “Tout savoir est issu de la perception externe : À l’occasion d’un surinvestissement du penser, les pensées sont perçues comme extérieures et de ce fait tenues pour vraies”.
Pourtant, c’est dans la deuxième topique que Freud introduit par la suite le rôle du Moi en relation avec les représentations du mot et la représentation Inc., et le système Prc. et Inc.
Il développe donc la notion du Moi en disant “mais le Moi est aussi, inconscient…” “Le Moi n’est pas séparé de manière tranchée du ça, il conflue avec lui vers le bas. Ajoutons éventuellement que le Moi porte une calotte acoustique… » « Le Moi est la partie du ça modifiée sous l’influence directe du monde extérieur par l’intermédiaire du Pc.-Cc. »
En quelque sorte, le Moi est une continuation de la différenciation de surface. Il s’efforce aussi de faire triompher l’influence du monde extérieur sur le ça et ses visées, tend à installer le principe de réalité à la place du principe de plaisir. Voilà pourquoi Freud dit que :
“la perception joue pour le moi le rôle qui dans le ça échoit à la pulsion.”
Pour compléter, nous reprendrons la phrase célèbre sur la relation entre le Moi et le corps : “Sur l’apparition du Moi et sa mise à part du ça, un autre facteur que l’influence du système Pc semble encore avoir agi. Le corps propre et avant tout la surface de celui-ci est un lieu d’où peuvent partir en même temps des perceptions internes et externes”. « Le Moi est avant tout un Moi corporel ; il n’est pas seulement un être surface, mais lui-même la projection d’une surface. Le Moi est finalement dérivé de sensations corporelles, principalement de celles qui ont leur source dans la surface du corps. Il peut être considéré comme un représentant de la surface de l’appareil mental”.
Voilà pourquoi le Moi est la formation intermédiaire par excellence entre la réalité interne et externe.
Mais le Moi se sert de certaines fonctions pour exercer sa fonction d’intermédiation d’une part, sur la variable spatiale, c’est à dire entre la réalité externe et la réalité interne et d’autre part, sur la variable temporelle, c’est-à-dire le présent et le passé. Comme cela a déjà été souligné, ces fonctions sont l’attention, la mémoire et le jugement.
Dans ce sens Freud ajoute: “Une fonction particulière a été installée, qui a eu à échantillonner périodiquement le monde extérieur, afin que les données de celui-ci soient connues à l’avance, au cas où apparaîtrait un besoin interne impossible à différer. L’attention est un système d’indice destiné à faire un dépôt de résultats sur ce que nous appelons mémoire.
Le refoulement désinvestit une partie des représentations qui engendrent du déplaisir, et le jugement doit décider si une représentation déterminée est vraie ou fausse, c’est-à-dire si elle correspond ou non à la réalité, décision prise par comparaison avec les traces de souvenirs de la réalité.”
Mais c’est dans Le Bloc Magique6 que Freud met en relation la représentation, la perception et la mémoire. Pour cela Freud revient à ses idées sur la Science des rêves (1901) : “nous possèderions un système P-Cs. qui réceptionnerait les perceptions, mais n’en conserverait aucune trace durable. Les traces durables des excitations s’emmagasineraient dans les systèmes mnésiques sous-jacents” ; et subséquemment il prend son texte “Au-delà du principe de plaisir” et il dit que : “le phénomène inexplicable de la conscience se produirait dans le système perceptif en lieu et place des traces durables”. “Notre appareil perceptif psychique est fait de deux couches, l’une périphérique, protégeant des excitations, dont le rôle est de réduire l’importance des stimulations qui surviennent et l’autre réceptrice sous-jacente, formant partie du système Perception- Conscience ».
Ultérieurement, Freud établit un parallèle entre le Bloc Magique et l’Appareil Perceptif Psychique. Il marque :
“L’inscription portée sur le bloc magique disparaît régulièrement lorsque le contact intime entre le papier récepteur de l’excitation et la tablette de cire qui en conserve l’impression est levé. C’est ainsi que je me représente depuis longtemps le mode de fonctionnement de l’appareil psychique”. Il montre que : “les investissements de l’innervation sont envoyés par à coups rapides et périodiques depuis l’intérieur jusque dans le système P-Cs. Tant que le système est ainsi investi, il reçoit des perceptions s’accompagnant de conscience et convoie l’excitation jusque dans les systèmes mnésiques inconscients”.
« Dès que l’investissement est retiré, la conscience s’éteint et le système ne rend plus. Tout se passe comme si par l’intermédiaire du système P-Cs l’inconscient développait des tentacules vers le monde extérieur”.
En conclusion, il exprime : “les interruptions d’origine extérieure pour le bloc magique me semblaient donc ici dues à la discontinuité du flux d’innervation et au lieu d’une véritable levée du contact j’ai supposé l’inexcitabilité périodique du système perceptif. J’ai appréhendé que cette façon d’ouvrer discontinue du système P-Cs. fonde la constitution de la représentation du temps…”
Nous pouvons conclure que la pensée est une déviation du chemin direct de la satisfaction, où l’idéation est un produit du processus primaire et la pensée désigne le processus secondaire. 7 L’idéation émerge quand le processus de satisfaction est empêché et la décharge doit trouver un autre chemin. Cela produit un réinvestissement du pôle perceptuel et en même temps la perception d’une décharge. Cette apparition de l’image hallucinatoire de l’objet de gratification est l’archétype de pensée. Au point de vue topographique, l’image hallucinatoire est l’archétype de la conscience. La prédominance du principe de plaisir permet au système P.Cc. d’éviter le déplaisir ; cela produit l’hallucination de l’objet. Mais le sujet apprend que cette procédure produit des désavantages et en conséquence il est obligé d’introduire l’interpolation d’une nouvelle structure, le système Prc, qui permet de réaliser des petites décharges : les représentations de mots.
Les expériences permettent que l’information qui arrive comme perception soit enregistrée comme trace mnésique. Cette évocation ou souvenir est possible parce que le Moi empêche que l’excitation arrive au pôle perceptuel, c’est à dire, évite l’hallucination. Cette perturbation dans la perception est tout d’abord très utile parce qu’elle considère comme réelle et externe une perception qui est souvenir, sentiment et idée. Par ailleurs, le Moi exerce tout d’abord une fonction d’inhibition et ensuite il se complexifie et impose la postergation. Le Moi contrôle le courant des représentations et opère comme une structure qui médiatise l’intérieur de l’extérieur. Il lit les conditions externes et cherche le moment plus favorable pour la décharge. Autrement dit, toutes pensées supposent la postergation de la décharge et constitue un essai pour assurer la réussite de la décharge même. La complexification de l’Appareil Psychique permet la représentation du déplaisir pour l’éviter. L’activité préconsciente cherche ensuite un certain niveau de décharge des traces mnésiques des mots et cela implique déjà l’articulation des représentations plastiques, auditives et phoniques. La pensée en parole suppose une décharge mineure à la décharge qui se produit quand le mot est déjà prononcé.
Pour conclure, Freud signale que le principe plaisir-déplaisir inclue la concrétisation du plaisir autant que la répression du déplaisir. Cette tendance à la répression signale la présence d’un Moi qui exerce une fonction d’inhibition, c’est-à-dire que les expériences de déplaisir conduisent le Moi à inhiber les investissements et à médiatiser avec le réel.
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1 Laplanche J. –Pontalis J.B. (1987). Vocabulaire de la psychanalyse). Paris, PUF, p.410.
2 Freud S. (1891). Pour concevoir les aphasies. Une étude critique, Paris, Erès, 2011.
3 Freud S. (1900). Le processus primaire et le processus secondaire des rêves, in L’interprétation des rêves, Presses Universitaires de France, 1976.p;509.
4 Freud S. (1911). Formulations sur les deux principes de l’activité psychique “traduit de l’allemand par Cl. Conté pour la bibliothèque de l’Ecole Freudienne de Paris).(voir aussi Le Vocabulaire de la Psychanalyse, cit id.)
5 Freud S. (1923). Le Moi et le Ça, “Le Moi et le Ca”, Paris, Payot, 1968.
6 FREUD S.(1925) Le Bloc Magique – traduction de l’allemand par Isle BARANDE et Jean GILLIBERT, Revue Française de Psychanalyse, Tome XIV, Sept-Oct. 1981, n° 5.
7 JAITIN R. , La comprensiôn de lo real desde una epistemológica convergente, Actualidad Psicológica, enero-febrero, 1981, pgs 24-32.